Ce récit est le souvenir d’enfance que j’ai gardé du déménagement que ma famille et moi avons fait jusqu’en Jamaïque à l’automne 1988. Ce même automne où l’île fut frappée par le plus gros ouragan des 50 dernières années.
J’ai écrit l’article sans l’aide de mes parents. Je suis allée puiser dans mes souvenirs et je crois que certaines scènes ont peut-être été imaginées, mais l’horreur était bien réelle et ma description de l’atmosphère qui régnait ce jour là est authentique. J’ai retrouvé les lieux auxquels je fais référence avec Google Earth (Je me suis inspirée du film Lion). Après cet événement malheureux, je n’ai jamais remis les pieds en Jamaïque. Écrire ce texte m’a donné une envie incroyable d’y retourner près de 30 ans plus tard.
Je me rappelle cette journée où j’ai reçu mon uniforme d’écolière bleu et blanc. J’étais finalement prête pour aller à l’école. Là où les poules se promenaient librement dans les classes et où les enseignantes utilisaient un petit triangle en guise de cloche. À 8 ans, je suis allée à cette école Jamaïcaine durant quelques semaines. À cet âge, je parlais déjà un peu anglais. J’habitais dans une petite maison à quelques pas de la superbe plage de Négril. J’étais la seule blanche dans une école primaire pour les locaux.
Mes parents
Mes parents m’ont eu jeune. Ils étaient natifs de petits villages où voyager n’était pas la norme. Mais ils avaient envie d’aventures et ils étaient prêts à tout pour se rapprocher de ce rêve. En 1979, ils ont emménagé dans une grande ville; Windsor, en Ontario et plus tard Montréal. Ils savaient que voyager serait plus accessible que dans leurs villages respectifs. Avoir un enfant n’allait pas changer leurs plans, ils m’ont trimbalé partout jusqu’à mon adolescence.
J’ai pris l’avion pour la première fois à l’âge de deux ans au Costa Rica, mais mes premiers souvenirs de voyage sont à Négril en Jamaïque. La raison est que nous avons passé plusieurs mois dans cette destination avant de s’y installer officiellement. La première année, mes parents m’ont fait l’école à la maison, mais j’ai accumulé du retard. Ce qui fait que l’année suivante lorsqu’ils ont décidé de déménager pour un très long séjour, ils m’ont inscrit dans une école de la région.
La petite fille blanche
Dès l’âge de 8 ans, je prenais l’autobus toute seule pour me rendre à Mount Airy Primary School avec des dizaines d’écoliers et travailleurs Jamaïcains. La petite fille blanche que j’étais se faisait beaucoup remarquer et elle avait tout du cliché de la blanche nord-américaine. Des cheveux longs châtains, beaucoup plus argent que ses camarades de classe et surtout, elle avait l’air complètement perdu et naîve. Tandis que les enfants étaient totalement intrigué, les adultes semblaient trouver que c’était vraiment absurde que moi; la petite blanche, j’ai quitté mon Canada confortable pour me retrouver dans une école de la Jamaïque où le toit n’arrivait même pas à nous protéger de la pluie.
Mais j’insiste sur le fait que j’étais naïve et que cette innocence d’enfant m’a permis de m’adapter à ce changement sans trop de problème. Pour moi, c’était normal. Mes premières années de vie avaient été plutôt instables. Des déménagements, changements d’écoles… Longs séjours à l’étranger… Ma famille et moi étions un peu comme des nomades. Qu’est ce que j’aurais bien pu faire pour contester cela? La seule chose qui me dérangeait; c’était d’attirer autant l’attention. Je savais que j’étais différente de ces enfants qui habitaient dans les quartiers pauvres, mais je me sentais encore plus différente de ces familles de blancs qui étaient en vacance à la plage dans un hôtel luxueux de Négril. J’étais ni une, ni l’autre et j’avais du mal à comprendre mon identité.
La tempête
Jusque là, l’histoire a des allures très exotiques. On parle quand même de refaire sa vie à proximité d’une des plus belles plages du monde. Ma crise d’identité aurait fini par passer et éventuellement j’aurais même eu des amis. Sauf que nous n’avons pas eu le temps que ça arrive. Parce qu’il s’est produit une catastrophe et il y a eu des centaines de mort. L’ouragan Gilbert traversa l’île de la Jamaïque le 12 septembre 1988. L’ouragan fut classé catégorie 5 avec des vents de plus de 200 km/h. Il nous frappa de plein fouet en arrachant tout sur son passage. C’était le plus gros cyclone des 50 dernières années.
Ce jour là, j’en ai voulu à mes parents de m’avoir emmené dans un endroit si peu sécuritaire. J’ai eu très peur… Peur d’être blessée par ces choses qui traversaient le ciel en brisant tout sur leurs passages et effrayée à l’idée d’être emportée par une de ces vagues monstrueuses. Nous avions tout laissé à la maison sur la plage pour se réfugier à l’hôtel sur la colline. Loin de l’océan déchainé. Au bout de quelques heures, les jardins de l’hôtel n’étaient que de la terre mouillée sous un amas de branches arrachées. Plus tard, les volets de notre chambre volaient avec la force du vent, laissant entrer la pluie pour éventuellement inonder le plancher et rendre l’endroit inhabitable.
Mode survie
À ce moment là, je n’étais plus une petite fille de 8 ans. J’étais dans la zone de survie. Cette zone dirigée presque entièrement par l’adrénaline. J’avais peur, mais j’acceptais ce qui était entrain d’arriver. J’ai aussi du mettre toute ma confiance entre les mains de mes parents. Il y a une partie qui me semble irréelle parce que je me suis abandonnée complètement et j’ai simplement observé mes parents faire passer l’instinct avant l’émotion et chercher un abri parce que c’était notre unique chance de s’en sortir.
Ce dont je me rappelle, c’est l’oeil de cet ouragan. Il y a eu un moment de calme inquiétant ou nous pouvions voir l’étendue des dégâts. Je ne sais plus combien de temps ça a duré, mais je crois bien avoir entendu le craquement de la nature qui se préparait pour la deuxième partie de la tempête. Parce qu’elle n’avait définitivement pas dit son dernier mot. Je ne saurais dire quelle heure il était ou avec qui nous étions à ce moment précis, mais je me rappelle cette lourdeur envahissante qui nous donnait froid dans le dos.
MBJ-YUL (Montego Bay – Montréal)
Nous avons pris l’avion vers Montréal le 18 septembre, soit 6 jours plus tard. Ça m’a semblé être plusieurs semaines. Nous avions dû rester à l’hôtel en haut de la colline durant les jours qui ont suivis parce que les routes n’étaient pas praticables. Les tablettes des supermarchés étaient vides. La pluie ne s’arrêtait jamais. L’électricité n’était jamais revenue… Mon père était retourné à la maison sur la plage. Il avait constaté que le toit n’y était plus et que ce qui restait de ce que nous possédions étaient abimés, trempés et irrécupérables. Je n’ai pas vu la scène, mais je me la suis imaginée et le portrait est dans ma tête comme si j’y avais assisté.
La veille du vol, plusieurs heures ont ont été nécessaires pour se rendre de Négril jusqu’à la capitale Montego Bay. En devant s’arrêter parfois pour déplacer des branches où autres obstacles qui nous empêchaient de passer. Mais lorsque nous avons finalement mis les pieds dans un hôtel qui avait tenu tête aux puissantes rafales de vents, je suis redevenue une petite fille. C’était le jour de ma fête, le 17 septembre 1988, j’avais 9 ans ce jour là. Nous sommes allés manger dans un restaurant à l’air climatisé qui fonctionnait à l’aide de leur génératrice. La ville était détruite. Les piscines des hôtels recouvertes de débris. La mer encore trop agitée pour s’y baigner… Mais, les Jamaïcains étaient heureux d’être en vie et on entendait déjà le bruit des marteaux qui réparaient les maisons.
Des séquelles?? Heu non!!!
J’avais envie d’écrire cette histoire depuis le plus loin que je me rappelle. Bien avant d’avoir un blogue, bien avant que l’internet existe. Mes parents n’ont pas voulu laisser cet événement changer quoi que ce soit dans la poursuite de leurs rêves. Je ne sais pas vraiment s’il y a un lien, mais j’ai très peur des orages maintenant. Ça s’est développé plus intensément il y a environ 10 ans lorsque j’habitais dans les Caraïbes. Parce que oui, si vous ne me connaissez pas encore, sachez qu’à l’âge de 26 ans, je suis partie vivre dans un pays où près de 6 mois par année, c’est la saison des ouragans… Donc finalement, on pourra dire que mes parents auront réussi à m’enseigner qu’il ne faut pas laisser une mauvaise expérience dicter le reste de nos vies.
Selon Google Earth, l’hôtel sur la colline s’appelle Eddie’s Tigress 2 et il est toujours là. 🙂 L’école aussi d’ailleurs. Quant à la maison sur la plage, je l’ignore…
Un jour, je vous raconterai la fois où j’ai crashé en avion dans un champ de canne à sucre du Costa Rica… Cette histoire est vrai, je le jure… À suivre…
Et vous? Avez vous des aventures de voyage qui ont changés le cours de votre vie?
Catherine
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